Habibi-couv.jpgJ'ai un peu le trac. Se lancer dans un commentaire argumenté sur ce roman graphique de 671 pages, c'est presque irresponsable. A l'inverse, passer ce livre sous silence m'est impossible.


Avant même le sommaire, le noir et le blanc (les seules couleurs du livres) envahissent la double page d'arabesques entrelacées en tapisserie sur lesquelles se découpe un cartouche reprenant le titre du livre en calligraphie arabe, irradiant d'une lumière surnaturelle.

Si l'on y regarde de près, on comprend l'immensité du travail, un travail d'orfèvre ou d'enlumineur : tout est fait à la main (beaucoup de dessinateurs ont recours à l'informatique aujourd'hui). La double page blache est encrée de noir. Et cette technique est la même du début à la fin. Si on ajoute à cela la virtuosité du dessin et la maîtrise d'un scénario aussi complexe qu'un labyrinthe, je crois n'avoir jamais lu de plus grands chef-d'oeuvre en bande dessinée.


L'histoire raconte la vie de deux enfants, Dodola, petite fille vendue en mariage à un copiste (du Coran, des Mille et Une Nuits et des grands poètes) et Zam, orphelin d'esclave. Ces deux-là se débrouillent pour vivre sur un bateau ensablé en plein désert, Dodola, la plus âgée, réussissant toujours à sous-tirer de la nourriture aux caravanes passant par là. Chaque soir, Dodola, pour endormir Zam, lui raconte les histoires que son mari lui avait enseigné avant d'être assassiné et qui ont fait d'elle une femme instruite et cultivée.


Les années passent, les enfants deviennent adultes et Zam commence à éprouver pour Dodola autre chose que de l'amitié.C'est alors que Dodola est enlevée par les serviteurs armés d'un sultan voisin qui se vante d'avoir des milliers de femmes dans son harem. La voilà propriété du sultan et celui-ci la met au défi, contre sa liberté si elle y parvient, de le satisfaire 70 nuits d'affilée alors même qu'aucune autre n'a réussi à retenir son attention plus d'une nuit. Pendant ce temps, pour Zam, c'est la détresse. Sans Dodola, le voilà contraint d'aller dans la ville proche, un taudis, pour tenter d'y survivre...


La force du livre est d'entremêler les histoires et les époques sans jamais perdre le lecteur. Sa richesse vient aussi des références constantes au coran, aux légendes des origines, au conte des Milles et Une Nuits. Craig Thompson revient aussi sans arrêt aux jeux entre dessin et calligraphie arabe, entre récit et symboles. Sont cités Aristote en tant que père de la biologie, Jabir Ibn Hayyan en tant que père de la chimie, on y parle d'alchimie, de mathématiques, d'amour... C'est impressionnant. J'avais déjà été sous le choc en lisant Blankets du même auteur, mais là...

 

(Habibi, roman graphique publié dans la collection écritures chez Casterman de Craig Thompson. Traduit de l'américain par Anne-Julia & Walter Appel, Paul Pichaureau, Laëtitia & Frédéric Vivien. 2011, 671 pages)

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